Un membre de l’association nous a fait passer 4 cartes postales qui, comme pour Terre Libérée, semblent raconter une histoire disparue de la mémoire collective locale, celle d’un rucher école. Nous n’avons pour sources que ces 4 cartes postales.
Sur les photos, on remarque que le lieu semble identique et présente un grand nombre de ruches. On peut les compter en prenant pour référence la ruche avec le toit en clocher. 4 à sa droite (photo 1), 12 à sa gauche jusqu’à la ruche de couleur foncée (photo 2), 3 supplémentaires à la gauche de la foncée (photo 4). On peut donc compter sur les images 18 ruches.
On y voit tour à tour un couple ; le même couple avec trois autres personnes dont un enfant ; puis 2 autres cartes postales avec un grand groupe de personnes. On semble assister à une réunion ou une démonstration d’apiculture comme indiqué manuellement sur la photo 3 et 4, “une visite d’hivernage au rucher école Luynes”, “Introduction d’une chasse dans une ruche à cadres au rucher école de Luynes.” La carte numéro 2 est adressée à un propriétaire apiculteur de Manthelan.
Sur les 4 cartes, un homme, le même, semble être toujours au centre, sans doute G. Fouquet dont on peut lire la signature sur 3 d’entre elles, ainsi que la date du 12 octobre 1913 sur deux cartes.
Sur deux cartes postales, deux indications différentes “mon rucher dans la vallée du Rinjoly - Luynes” et “coin de mon rucher du Chêne vert luynes I & L”.
Des dates du 6 et 9 octobre sont annotées au verso. Elles indiquent que les 4 photos ont été prises dans la même semaine. Sur une des cartes est signée G. et G. Fouquet, sur une autre on peut découvrir le prénom de l’homme : Georges Fouquet.
Ces précieuses informations nous permettent de commencer les recherches aux archives départementales.
Pour la localisation des ruches, aux archives 37, le plan cadastre de 18111 situe le Rinjoly juste au-dessus du chêne vert, qui sur le plan est indiqué avec un “d”. Il s’agit donc bien du même lieu. Au vu de la topographie, les ruches semblent être à flanc de coteau, donc vers le Rinjoli.
Il conviendra de faire des recherches avec les quelques éléments architecturaux présents dans les cartes pour tenter de déterminer le lieu précis.
Pour trouver G et G Fouquet, nous faisons appel aux recensements disponibles. Les recensements sont effectués toutes les années en 1 et 6, sauf 1916. La date de 1913, nous incite à chercher dans le livre de recensement de 1911, qui compte 61 pages2. A Luynes, 1734 personnes habitent alors la commune, et on y trouve 2 Georges Fouquet. Un premier habitant au 37 de la rue Saint-Venant, né en 1908 donc trop jeune, et en page 31, un second habitant la croix-verte, né en 1879 à Luynes, ce Georges Fouquet correspond à notre recherche.
Grâce au recensement, nous savons que vivent dans la maison de la croix-verte le chef de famille, François Fouquet cultivateur à son compte, avec son fils et sa belle-fille, Georges et Germaine, les G et G de la carte postale, ils habitent avec une cousine née en 1828. Toujours grâce au recensement, nous avons la date de naissance de l’un et de l’autre et nous pouvons donc trouver leur certificat de naissance et de mariage.
Germaine est née à Villandry d’un père cultivateur et d’une mère lingère3. Georges est né à Luynes, dans cette même maison de la croix verte le 23 avril 18794, maison familiale des Fouquet puisque le père, François est lui-même né dans cette maison le 03 février 1855, d’un père cultivateur5.
Georges et Germaine se marient le 29 mai 1905 à Savonnières6. Il est intéressant de noter que sur l’acte, la profession indiquée de Georges, de son père et du père de la future mariée est “propriétaire”. Nous sommes en présence d’un mariage entre agriculteurs propriétaires, qui ont donc de l’argent. Et ceci explique sûrement l’élégante robe de Germaine que nous voyons sur la photo du couple.
Ils emménagent de suite à la croix verte comme l’indique le recensement de 19067et ils ont eu un fils, Jean-Marie, né à Luynes la même année. On note également que 2 domestiques vivent dans la maison et que la mère de Georges est décédée entre 1901 et 1906.
Les recensements des années suivantes vont nous donner des informations supplémentaires et notamment le suivant, celui de 1921. A la croix verte, il ne reste plus que Germaine, qui vit avec son beau-père et 2 domestiques.
Plus de Georges, plus de Jean-Marie, et cela reste ainsi jusqu’en 1936, où la maison de la croix-verte est indiquée vide. La disparition de Georges lors du recensement de 1921 nous amène à penser que Georges est décédé pendant la guerre.
L’hypothèse est confirmée par son livret militaire8, Georges Fouquet, cheveux châtains, mesurant 1m74, est décédé le 3 septembre 1914 à l’hôpital de Dijon, soit un mois après la déclaration de guerre, et 11 mois après la photo que nous avons de lui.
Je pense alors que s’arrêtent ici les recherches sur le rucher école de Georges Fouquet.
Je lance tout de même une dernière recherche de carte sur 2 sites référencés en la matière et je trouve les mêmes cartes postales que celles déjà en notre possession, mais les internautes vendeurs ont eu la bonne idée de scanner le verso des cartes, on y trouve au dos de la première une explication de Georges Fouquet de la photo numéro 3.
Monsieur Sibileau,
J’ai le plaisir de vous envoyer les photos du cours du 12 octobre 1913 dernier. Nous étions une trentaine malgré que vous ne soyez que 20 sur la photo, car plusieurs débutants avaient peur de se faire piquer.
La masse noire qui est sur le plateau de la ruche sont les abeilles effectuant leur montée. Remarquez qu’à part un ou deux, personne n’a de voile. Il n’y pas eu une piqûre de toute la journée.
Recevez monsieur Sibilleau, mes sincères salutations.
G. Fouquet
Et au verso de la seconde, une mention manuscrite particulièrement intéressante : “le compte rendu de la réunion a paru dans la Touraine du jeudi 30 octobre 1913”.
"La Touraine", cela ressemble à un titre de quotidien, et sur le site des archives départementales, il y a effectivement un quotidien nommé « la Touraine républicaine ». Les exemplaires sont numérisés et disponibles en ligne et voici donc le compte rendu de cette fameuse journée du 12 octobre 1913, dans le numéro du jeudi 30 octobre 19139en page 2, qui nous permet désormais d’ajouter une légende aux photos du rucher école de Georges Fouquet.
Le 2e cours d’apiculture de la saison d’automne, donné le 12 octobre au rûcher du Chêne-Vert, à Luynes, chez M. Georges Fouquet, avait attiré des apiculteurs de Tours, Saint-Cyr, Fondettes, Cinq-Mars, Luynes, Saint-Étienne, Saint-Genouph, etc.
Ce très joli rûcher-école, tenu avec un soin et un ordre parfait, d’où l’on découvre un panorama splendide sur la vallée de la Loire, fait l’admiration des visiteurs.
Abritées des vents dominants, sur une plate-forme creusée à cet effet, les 30 ruches, peintes de tons différents, placées en demi-cercle, autour d’un grand massif de fleurs, ressemblent à un coquet petit village et l’aspect est vraiment séduisant.
Devant une trentaine de personnes, parmi lesquelles MM. le docteur Bondouy, professeur à l’école de médecine : Maridonneau, instituteur à Saint-Genouph et ses élèves ; Caillaux père et fils ; Rousseau, Robineau, Chollet, Balsas, Filizater, Gallé père ; Léger, Duveau, R. Bigot, Guyon, Loyer, Perrée, etc. ; apiculteurs. M. G. Fouquet fit, avec une grande habileté, la démonstration des numéros inscrits au programme.
Ce fut d’abord la visite des rûches, en vue de l’hivernage : enlèvement des cadres de côté, remplacés par des partitions munies de paille, évaluation des provisions restantes, aération de la colonie en intercalant de petites cales entre la rûche et le plateau, etc.
Une très intéressante opération fut l’introduction d’une chasse dans une ruche à cadres préalablement garnie de rayons de miel enlevées aux colonies fortes. L’ensemble parfait avec lequel ces gentilles petites avettes montaient à l’assaut de leur nouveau domicile émerveilla les spectateurs. Un apiculteur présent, Monsieur Pérée, en prit quelques clichés.
Au laboratoire, le conférencier fit la démonstration des différents nourrisseurs employés à l’arrière saison : système anglais Miller, Siebenthal, Maigre, etc. : tous furent reconnus très pratiques, bien que d’un système différent.
Le 3e numéro du programme consistait en la réunion de deux ruches faibles. Cette opération, très simple, exige cependant un tour de main et une connaissance du métier que possède à fond M. G. Fouquet, pour empêcher que les abeilles ne se battent et ne provoquent une irritation préjudiciable aux colonies.
Grâce à l’habileté de l’exécutant, à un bon enfumage et à une pulvérisation d’eau aromatisée, l’opération réussit à merveille.
Au cours de ces différentes manipulations, et à cette époque où les abeilles sont plus agressives, il est à remarquer qu’aucune piqûre n’incommoda les spectateurs, ce qui prouverait qu’avec de la méthode et un peu de pratique, le maniement des abeilles n’est pas si dangereux que l’on veut bien le dire et qu’avec les précautions voulues, toute personne ayant quelques loisirs peut devenir apiculteur.
La séance prit fin en dégustant un joli vin mousseux et tous les assistants se séparèrent au milieu des remerciements à M. Fouquet et de l’enchantement de ce bon après-midi qui continue l’incomparable série des cours de la société. À la suite de cette conférence, la section enregistra plusieurs adhésions nouvelles.
Rucher École de Loches. — Cette dernière série de cours a été terminée par la réunion-conférence de Loches, le 12 octobre dernier. Plus de vingt-cinq apiculteurs des environs sont accourus pour profiter des démonstrations de M. Mathieu, l’éminent professeur, et tous les assistants, reconnaissants de l’action si particulièrement utile de la section, ont exprimé leurs vifs remerciements à ses représentants, qui préparent, pour des temps prochains, de nouveaux efforts de décentralisation apicole.
Le secrétaire de la section : V. Rocher.
Ces premières recherches nous amènent à en mener de nouvelles, avec des réponses trouvées mais aussi d’autres questions, et d’autres recherches à effectuer aux archives départementales.
Des recherches sur les activités agricoles et possessions des Fouquet, qui amèneront peut-être à d’autres découvertes, et notamment sur le devenir des trentes ruches.
L’article de la Touraine républicaine ouvre de nouvelles pistes de recherche grâce aux noms des participants, des recherches à mener aussi sur le rucher école de Loches, ainsi que l’existence d’un programme de la journée. Grâce à l’article nous connaissons également l’auteur des photographies Monsieur Pérée.
Il serait intéressant de présenter ces photographies et cet article à un apiculteur qui tirerait certainement des conclusions qui nous ouvrirait des pistes.
Mais c’est déjà un début d’histoire pour cette nouvelle école découverte sur Luynes.
Christophe Gaillard, pour L’autre Terre Libérée, 2024
Dans l’article, l’auteur fait référence à la dégustation d’« un joli vin mousseux ». A cette époque sur Luynes et Fondettes nombreux étaient les hectares de vignes et les vignerons. Je fais l’extrapolation que la cuvée fournie par Georges Fouquet devait être le vin mousseux de son voisin, Désiré Charles Aimé Bresnier, mort également lors de la première guerre mondiale et dont le fils Aimé propose « la cuvée du Chêne vert » qui peut-être existait déjà en 1913. Les Bresnier habitaient à quelques centaines de mêtres des Fouquet10, mais ceci est une pure extrapolation !